ODDH Burkina Faso

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ACTIVITES


Lettre d'interpellation

oddh burkina Faso

 

 

 
Ouagadougou, le 21 juin 2018
Le Collectif des organisations et défenseurs
des droits humains
BURKINA FASO
 
A
 
SEM l'Ambassadeur, Chef du bureau de la délégation de l'Union Européenne au Burkina Faso
 
Objet : Interpellation sur les atteintes aux libertés d'expression et d'opinion au Burkina Faso
 
Monsieur l'Ambassadeur,
 
Le collectif des organisations et défenseurs des droits humains, composé de l'Observatoire pour la démocratie et les droits de lHomme (ODDH), du Réseau des organisations de la société civile pour le développement (RESOCIDE), du Cercle dEveil, de la Convergence citoyenne et panafricaine (CCP), de l'Association « Femmes Battantes », vient par la présente lettre vous saisir de la violation répétée des libertés démocratiques notamment de la liberté dexpression et dopinion au Burkina Faso, à travers le cas du jeune activiste et lanceur dalerte, Naïm Touré.
Le jeudi 14 juin 2018, Naïm Touré a été détenu à la brigade de recherches de la gendarmerie de Ouagadougou, sans quaucune réelle procédure judiciaire nait été ouverte à son encontre. Il est resté en détention dans les locaux de la gendarmerie jusquau mardi 19 juin, soit 120 heures, sans être présenté à un officier de police judiciaire encore moins au procureur. Le 19 juin, il a comparu devant le procureur du Faso, Madame Maïza Sérémé, qui la immédiatement mis en détention à la maison darrêt et de correction de Ouagadougou après lui avoir reproché les charges ci-après :
1) - Proposition de former un complot contre la sureté de lEtat,
2) - Participation à une entreprise de démoralisation des FDS,
3) - Incitation de troubles à lordre public.
Son crime, Naïm sétait indigné, dans un écrit publié la veille sur son compte Facebook, du sort dun gendarme blessé lors de lopération anti terroriste qui sest déroulée la nuit du 21 mai 2018 dans la périphérie de Ouagadougou, précisément dans le quartier de Rayongo. Ce gendarme, du nom de Henry Traoré, se trouvait dans une situation médicale désastreuse en labsence dune évacuation sanitaire pour lui extraire une balle quil a reçu dans lepaule et qui nécessite une intervention rapide. Ce gendarme blessé a été visiblement oublié et abandonné à son sort par lEtat et les autorités burkinabè, comme le fut avant lui Guy Ouedraogo, un autre de ses collègues qui finit par être amputé de la jambe après sa participation à lopération contre lattaque terroriste du Capuccino, le 15 janvier 2016. Linformation sur le cas de Henry Traoré a été révélée par le quotidien dEtat Sidwaya et fut ensuite commentée largement par le public. Naïm Touré a ouvertement critiqué la négligence et le rôle coupable des autorités publiques.
Vous pourrez vous rendre compte en lisant le post de Naïm Touré (Cf. pièce jointe) que laccusation dincitation à la révolte de forces de sécurité est assez légère et ne peut en rien justifier le traitement infligé à Naïm Touré notamment la garde-à-vue et la détention préventive. Dans un Etat de droit, pour une telle affaire, les accusés comparaissent libres devant le tribunal.
Nous, défenseurs des droits humains, contestons à la fois le mobile et la procédure qui ont été appliqués à Naïm Touré, dautant plus quaucun préjudice na été commis ni constaté suite à son écrit depuis la publication jusquà son incarcération. Nous considérons tout simplement quil sagit ici dune violation grave des libertés dexpression et dopinion commise par le gouvernement du Burkina Faso en contradiction de la constitution.
Nous dénonçons la « garde à vue » illégale de 120 heures et la détention préventive de Naïm, lesquelles constituent de larbitraire, car elles nétaient pas nécessaires dans le traitement dune question de ce type par la justice.
La présente interpellation couvre lensemble du secteur des libertés démocratiques, en particulier celle dexpression et dopinion au Burkina Faso. Lavènement dinstitutions élues, après les événements de 2014 et de 2015, avait laissé espérer, entre autres acquis, un élargissement des libertés civiles et politiques. La désillusion est aujourdhui très grande de voir un rétrécissement de ces libertés acquises de haute lutte sous le régime Compaoré.
Actuellement, les libertés dassociation, dexpression, de manifestation et dopinion sont mises à mal du fait des autorités judiciaires ou politiques qui en font un traitement totalement inégalitaire entre les citoyens ou procèdent à linstrumentalisation de la justice à des fins de règlements de comptes.
Dans le cas Naïm Touré, nous sommes dorénavant convaincus du caractère politique de laffaire, à travers des propos du ministre de la communication, porte-parole du gouvernement, qui a déclaré le jeudi 21 juin sur RFI que : « Il y a des responsables administratifs qui ont jugé que le post de Naïm Touré portait atteinte à nos FDS et ont demandé à la justice dengager une procédure ». Voilà, sil en est encore besoin, une preuve flagrante de la confusion des pouvoirs qui règne au Burkina Faso, en particulier, lentêtement de lexécutif à contrôler et donner des ordres au judiciaire. Si des responsables administratifs estiment être lésés, ou que lEtat lest, par les propos de Naïm Touré, quils adressent un acte (lettre, plainte, saisine) à la justice qui appréciera. Un citoyen ne peut pas être arrêté et détenu sur de simples présomptions dindividus. Nous mettons à défi le Ministre de la communication de nous produire un tel acte provenant dun responsable administratif. Si cela était, la transparence aurait exigé la publication du nom de ces responsables administratifs.
Comme preuve de la pratique du deux poids deux mesures en matière de justice, les laudateurs du régime en place eux ne connaissent aucun rappel à lordre et ne sont point inquiétés par le procureur du Faso malgré leurs invectives, menaces, dénigrements et les injures publiques contre tous ceux qui sont soupçonnés de ne pas être des soutiens au pouvoir en place. Bien au contraire, lentretien dune milice des réseaux sociaux par des politiciens proches du pouvoir est une réalité depuis au moins 2014. Des jeunes sont recrutés, formés, dotés de matériel de communication et se tiennent prêts à déployer sur les réseaux sociaux, une profusion de commentaires désobligeants et dinjures dégradantes les plus graves contre des cibles qui leur sont indiquées par leurs commanditaires. La moindre réflexion critique sur la gouvernance politique ou les politiques publiques, fait lobjet de réactions les plus vives, et leurs auteurs classés au statut dopposants, ce qui leur vaut dêtre durement maltraités de plusieurs persécutions ouvertes ou cachées. Parallèlement, de manière tout à fait occulte, des démarches sont menées par des acteurs politiques pour dénigrer une catégorie dacteurs auprès des partenaires techniques et financiers, dont vous faites partie, aux fins de les empêcher de soutenir financièrement les organisations ou les personnes qui font bien et indépendamment leur travail de promotion, de défense et de protection des droits humains.
Nous vous interpellons sur le palmarès judiciaire du gouvernement depuis 2016, qui est aussi le vôtre en tant que partenaire assistant le gouvernement, émaillé de plusieurs affaires judiciaires dans lesquelles les règles de procédure et de droit sont violés ou appliquées de manière sélective et partiale.
En lieu et place de se préoccuper de létat de la provision convenable et équitable des droits économiques et sociaux aux populations (OMD, PNDES), le gouvernement et les autorités politiques sont préoccupés par les opinions des citoyens exprimées sur les réseaux sociaux et les médias et sévertuent, par des moyens sujets à caution, à tenter de remettre en cause ces libertés qui constituent le fondement de tout Etat de droit démocratique.
Le travail des défenseurs des droits humains sest sensiblement compliqué depuis 2016. Malgré cela, nous affirmons notre détermination à poursuivre cette uvre noble bien que périlleuse. Nous vous incitons vigoureusement à retenir les griefs que nous élevons contre le gouvernement et vous incitons, au plan diplomatique, à faire usage de tous moyens conventionnels pour faire cesser les atteintes aux libertés et aux droits fondamentaux garantis par notre constitution et les différents instruments internationaux des droits humains auxquels le Burkina Faso est partie. A la suite de votre interpellation, nous saisirons les Rapporteurs Spéciaux de la Commission africaine des droits de lHomme et des peuples (CADHP) et du Comité des droits de lHomme de lONU, en ouverture de procédures sur la dégradation inquiétante des droits civils et politiques au Burkina Faso, et plus particulièrement des libertés dexpression, dopinion et de manifestation.
Avec le ferme espoir que notre interpellation trouvera auprès de vous une oreille attentive et des actions concrètes de réponse, nous vous saurions gré, Monsieur lAmbassadeur, des suites que vous accorderez à notre présente démarche guidée par lurgence ainsi que par la gravité de la situation.
Nous vous prions de bien vouloir croire en notre considération très respectueuse.
 
Pour le Collectif :
Siaka Coulibaly
Porte- parole /Secrétaire Exécutif du RESOCIDE
 
Pièces jointes :
(01) copie du post de Naïm Touré
(01) liste des chancelleries

 


27/09/2020
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